En 1875, l’Intendant du Grand Théâtre de Moscou, Vladimir Pétrovitch Begitchev, demande à Piotr Ilitch Tchaïkovski de composer une musique de Ballet à partir d’un livret inspiré d’anciennes légendes nordiques. C’est la première fois qu’une telle création est confiée à un compositeur de symphonies. Tchaïkovski s’inspire alors de la technique du « Leitmotiv » utilisée par le compositeur Adolphe Adam pour le ballet Giselle, en 1844: un thème musical est associé à chaque personnage et évolue suivant l’atmosphère. Pour cette oeuvre, Tchaïkovski ne collabore pas avec le chorégraphe, Julius Reisinger, si bien que ce dernier finit par arranger la partition comme il l’entend. Le 4 mars 1877, lors de sa représentation au Théâtre Impérial Bolchoï, Lebedinoje Osero (titre original du Lac des Cygnes) ne remporte pas le succès escompté.

En 1893, la ballerine italienne Pierina Legnani obtient le rôle principal. Durant le Grand Pas de l’Acte III, elle enchaîne 32 fouettés en tournant et devient alors la première danseuse à accomplir un tel exploit. Le public, impressionné, lui demande un bis de ce qu’elle vient de faire. Elle s’exécute et enchaîne cette fois 28 fouettés!

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Pierina Legnani

Le 12 mars 1894, le deuxième acte de l’oeuvre est présenté au Théâtre Impérial Mariinski, à la mémoire du compositeur décédé le 6 novembre 1893. Cette fois, la chorégraphie est confiée à Lev Ivanov, deuxième maître de ballet et assistant de Marius Petipa. Marius Petipa, séduit à l’issue de la représentation, réussit à convaincre le Théâtre Mariinski de remonter intégralement le ballet. Il laisse Lev Ivanov chorégraphier les deuxième et quatrième actes, et se charge du premier et du troisième. Il développe des mouvements majestueux pour Olga Preobrajenska, qui incarne Odette, et construit ainsi le mythe de la danseuse-cygne qui deviendra la ballerine par excellence. Il confie aussi la partition d’origine au célèbre chef d’orchestre Riccardo Drigo, afin que celui-ci la remanie légèrement. Cette version est présentée pour la première fois au public le 15 janvier 1895.

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Pavel Gerdt dans le rôle du Prince en 1895

Au fil des décennies, de nombreuses versions du Lac des Cygnes connurent un large succès. Quelle que soit la version, la majeure partie de l’histoire reste inchangée: le Prince Siegfried doit choisir une épouse le soir de la célébration de sa majorité. Vexé de ne pouvoir choisir par amour, il se rend durant la nuit dans la forêt. Là il aperçoit une nuée de cygnes se posant près d’un lac. Il vise alors l’un d’eux avec son arbalète mais celui-ci se transforme en une magnifique jeune femme vêtue de plumes de cygne blanc. Siegfried apprend alors que la jeune femme, Odette, a été enlevée et ensorcelée par le sorcier Von Rothbart: le jour elle prend l’apparence d’un cygne et la nuit, elle retrouve forme humaine. D’autres jeunes filles ensorcelées la rejoignent ainsi chaque nuit au bord du lac formé par les larmes de ses parents à la suite de sa capture.

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Pas de Quatre

Le Prince, épris d’Odette, découvre que le sort sera rompu s’il l’épouse. Le soir de son anniversaire, il s’apprête donc à la demander en mariage mais Von Rothbart survient avec sa fille, Odile, vêtue de noir, sosie d’Odette.

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Nathalie Portman dans le film Black Swan de Darren Aronofsky

Persuadé qu’il s’agit d’Odette, Siegfried déclare son amour à Odile et annonce son mariage à la Cour. Au moment où vont être célébrées les noces, Odette apparaît. Siegfried se rend alors compte de son erreur et se précipite vers le lac des cygnes. Il existe, à partir de ce point, différentes versions de la fin:

– L’Amour véritable de Siegfried et Odette triomphe, et Siegfried tue Von Rothbart.

– Siegfried ayant déclaré son amour à Odile, Odette est condamnée à demeurer sous l’apparence d’un cygne. Réalisant qu’il s’agit de ses derniers instants sous forme humaine, elle court se suicider en se jetant dans les eaux du lac, suivie du Prince. Cet acte d’amour et de sacrifice détruit Von Rothbart et les amants s’élèvent ensemble au paradis.

– Siegfried court au lac et supplie Odette de le pardonner. Il la prend dans ses bras mais elle meurt. Les eaux du lac montent et les engloutissent.

– Odette, condamnée à demeurer un cygne pour toujours, s’envole et Siegfried reste seul, dans le chagrin et la douleur.

Aujourd’hui encore, beaucoup voient dans la partition mélancolique de Tchaïkovski l’expression de sa propre déception amoureuse. En effet, perdu dans un mariage de convenance, il ne put assumer son homosexualité, entretenant une relation épistolaire et platonique avec son mécène, Nadejda Von Meck.

Zoom sur le Lac des Cygnes de Rudolf Noureev

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Rudolf Noureev

« Le Lac des Cygnes est pour moi une longue rêverie du prince Siegfried. Celui-ci, nourri de lectures romantiques qui ont exalté son désir d’infini, refuse la réalité du pouvoir et du mariage que lui imposent son précepteur et sa mère. C’est lui qui, pour échapper au morne destin qu’on lui prépare, fait entrer dans sa vie la vision du Lac, cet ailleurs auquel il aspire. Un amour idéalisé naît dans sa tête, avec l’interdit qu’il représente. (Le cygne blanc est la femme intouchable. Le cygne noir en est le miroir inversé, tout comme le maléfique Rothbart est la transposition pervertie de Wolfgang, le précepteur). Aussi quand le rêve s’évanouit, la raison du prince ne saurait y survivre. »

Invité, lors de sa première saison au Royal Ballet de Londres, à danser le rôle de Siegfried en Juin 1962, dans la production revue par Ninette De Valois et Frederick Ashton, Noureev se permet d’introduire, à la fin de l’Acte I, une variation nouvelle: ce solo mélancolique et rêveur exprimant l’aspiration de Siegfried à un monde idéal fut jugé si beau que le Royal Ballet l’a gardé dans les diverses versions du Lac qui se sont succédées depuis.

Quand Noureev entreprend sa propre version de l’ouvrage intégral (en octobre 1964 à l’Opéra de Vienne), il étoffe chorégraphiquement le rôle du Prince et surtout développe sa psychologie par des fantasmes qui l’entraînent à sa perte. Rudolf Noureev accentue encore le côté dramatique de l’oeuvre et crée un Lac des Cygnes qui, contrairement aux mises en scène précédentes, présente le Prince comme personnage-clef de l’action dramatique: d’abord triste, en proie au « spleen », puis amoureux, ensuite trompé et enfin anéanti. Dans la version de Noureev, Rothbart déclenche une terrible tempête qui engloutit Siegfried dans les flots.

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Lors de la représentation du Lac des Cygnes à l’Opéra de Paris en décembre 1984, Noureev ira encore plus loin, en donnant au personnage du Prince une dimension Freudienne. Tout se passe dans la tête de Siegfried; l’apparition de la femme-cygne se fait en rêve. Siegfried est possédé par ses fantasmes où l’idéal féminin reste inaccessible…

A voir

Le Lac des Cygnes par le Ballet de Saint-Pétersbourg.

Extrait du Pas de Quatre de l’Act I, par le Théâtre du Bolchoï.

Extrait du Corps de Ballet de l’Act I, par le Théâtre du Bolchoï.

Extrait d’une répétition du Pas de Quatre.

Extrait du Pas de Quatre vu par Matthew Bournes.

Les fouettés en tournant.


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Sources
Site internet de l’Opéra National de Paris : www.operadeparis.fr
www.noureev.org
www.classiquenews.com
Wikipedia