musique

Il est difficile de définir concrètement ce qu’est la musicalité dans le domaine général. Le Grand Larousse Universel et Le Petit Robert  en proposent tous deux une définition assez vague, l’un la décrivant comme « Qualité de ce qui est harmonieux », l’autre comme « Qualité de ce qui est musical » en référence à ce « qui concerne la musique ».

En revanche dans le domaine de la danse, Le Dictionnaire de la Danse Larousse, sous la direction de Philippe Le Moal, la décrit comme ceci : «(…) Partant de l’idée générale de rendre visible le processus musical, le concept de musicalité recouvre aussi bien un mode de rapport au support musical que celle d’une articulation intrinsèque du mouvement indépendamment d’une relation concrète à la musique. (…) » Il distingue ainsi deux sortes de musicalités : la musicalité comme lien direct entre ce que danse l’interprète et la musique, et une musicalité intérieure, visible mais inaudible.

Alexandra Danilova, danseuse et enseignante à l’Ecole de l’American Ballet explique elle aussi, dans Music for the Dance, que « Beaucoup de professeurs croient que la musicalité est un don du Ciel, quelque chose de rare qu’ils n’ont pas le pouvoir d’enseigner, mais je ne suis pas d’accord. Je pense que pour tout danseur, la musicalité est une nécessité, et je sais qu’elle peut être cultivée puisque je la cultive chez mes étudiants. Je leur apprends à associer une musique avec un mouvement, à bien écouter, de façon à ce qu’ils puissent percevoir immédiatement à quels moments la chorégraphie colle parfaitement à la partition. J’exige des mes élèves, même les plus jeunes, qu’elles soient bien sur les temps. De bonnes danseuses sont formées chaque jour par de bons professeurs ; mais d’excellentes danseuses naissent. Une excellente danseuse a quelque chose en plus -je crois que c’est la personnalité-. Ce n’est pas seulement un mannequin qui agite les mains sur la pulsation de la musique ; ses mouvements ont un sens. ».

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Gardons à l’esprit le fait que chaque individu possède sa propre musicalité, comme l’a fait remarquer Michel Bernard, philosophe spécialiste de la danse : « Malgré la recherche d’une relation étroite à la musique, il y a plus d’une traduction dansée d’une même musique ; chacun contenant sa propre musicalité, chacun bougera et chorégraphiera bien sûr différemment sur une musique donnée. ».

Odile Duboc, chorégraphe de danse contemporaine, se réfère même à une « musique intérieure ». Cette référence s’applique particulièrement bien à la danse contemporaine puisque les mouvements peuvent être volontairement exécutés en décalage par rapport à une musique choisie, tout le long d’une chorégraphie ; voire même exécutés sans musique. Par exemple, Merce Cunningham, chorégraphe de danse contemporaine lui-aussi, exige de ses danseurs qu’ils se servent de cette musicalité intérieure pour démarrer tous ensembles alors qu’aucun repère n’indique le départ. « Le danseur jazz n’envisage que très rarement le silence et seulement brièvement. Il rejoint en cela l’attitude habituelle et populaire pour laquelle la danse ne se conçoit pas sans musique. Dans les brefs moments de silence, ceux-ci sont vécus intérieurement par le danseur jazz comme l’annonce de la musique à venir – ou le prolongement de la musique entendue – et il en contient déjà – ou encore – la pulsation. ».

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Odile Duboc

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Merce Cunningham

De même, le tempo et le rythme, composantes de la musicalité, ne sont pas perçus par tous de la même façon.

D’après l’auteur Jacqueline Meunier-Fromenti, dans l’ouvrage Musique et Mouvement, le système nerveux peut se décomposer en trois niveaux : le niveau perceptif, qui reçoit les informations grâce aux capteurs sensoriels ; le niveau central, qui analyse ces données ; et le niveau effecteur, qui répond aux informations par une action. Or d’après l’auteur, au niveau effecteur chacun possède un tempo propre lié à sa taille et à son tempérament, avec des variations dues à l’état du moment : fatigue, crise morale, événement joyeux ou malheureux, etc…

Apparaît alors très nettement le lien entre la musicalité et l’interprétation. Tantôt le mouvement sert à interpréter une musique : le danseur doit chercher à exprimer corporellement ce qui se dégage de la musique ; tantôt la musique déclenche les émotions du danseur : telle musique suscite chez lui telle émotion, dont découlera tel mouvement.

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Extrait de Revelation d’Alvin Ailey

Zoom sur la Danse Jazz et le Swing

Histoire de la Musique et Histoire de la Danse, laquelle découle de l’autre ?  Il est difficile de répondre à cette interrogation puisque, comme le souligne Le Dictionnaire de la Danse Jazz dans la définition de cette dernière : « Au confluent des cultures africaines et européennes, (elle) résonne d’influences multiples et se développe jusqu’aux années quarante le long de lignes historiques et esthétiques parallèles à celles de la musique. ».

A propos de la corrélation entre la musique et la danse en général, Michel Bernard a néanmoins souligné que chaque art privilégie un des cinq sens : la peinture/ la vue, les parfums/ l’odorat, et que tout comme un sens peut en influencer un autre, un art peut, même inconsciemment influer sur un autre. D’après lui, la danse et la musique ne sont donc pas dissociées ; l’une nourrissant sans cesse l’autre.

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Le Ballet Armstrong

Comme le rappelle Eliane Seguin, danseuse, professeur de Danse et d’Histoire de la Danse, en introduction de l’ouvrage Enseigner la danse jazz, « (…) la danse jazz se présente comme une danse de rencontres et de curiosité mutuelle. Métisse, elle est le fruit de l’hybridation de formes musicales et dansées venues d’Afrique et d’Europe. Elle est née d’un phénomène d’acculturation des populations blanches et noires dans le creuset américain pendant plus de trois cents ans. Son histoire remonte au XVII ème siècle. ». Cette citation laisse entendre que les prémices du lien entre la musique et la danse jazz résidaient déjà dans les danses des esclaves.

Eliane Seguin rapporte aussi que « Chez certains peuples africains, on ne possède pas de terme propre pour désigner la danse, mais un mot qui englobe à la fois l’idée de chant, de musique instrumentale et de danse ». C’est avec ce bagage culturel que les esclaves arrivèrent aux Etats-Unis, avant d’utiliser aussi la musique et la danse comme moyen d’union et d’échappatoire virtuel à leur condition. Ils se réunissaient souvent à l’occasion de fêtes religieuses ou laborieuses pour danser au son d’un seul tambour, d’un groupe de percussionnistes, ou encore d’ensembles divers de flûtes, de tambours et de xylophones, voire même au son de percussions corporelles (frappements de mains entre elles, sur les cuisses, les bras, les aisselles, le tronc, claquement de doigts) désignées par le terme « patting ». La forme spatiale de ces rassemblements la plus répandue était celle du cercle, au centre duquel évoluait le ou les danseur(s), donnant à ces danses le nom de « ring-shouts ».

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Reconstitution de ring shouts par le chorégraphe Reggie Wilson

Naissait alors un véritable dialogue entre le musicien et le danseur, un jeu de question-réponse. Ce jeu engendrait une polyrythmie corporelle chez les danseurs qui répondaient aux décalages des accents rythmiques propres à la musique africaine par des mouvements différents de chaque partie du corps. Il n’était pas rare de voir des danseurs dont les pieds ne bougeaient pratiquement pas tandis que leurs bras et leurs bustes se tordaient énergiquement. On peut noter ici que les historiens désignèrent cette façon de dissocier le haut du corps du bas comme l’esthétique du « cool ». Celle-ci découlait notamment du « cakewalk » et du « Set the floor » (danse qui pouvait être exécutée en solo ; cette fois le danseur devait exécuter le plus grand nombre de pas possible sans verser une goutte).

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Parmi beaucoup d’autres, une caractéristique rythmique permettait encore de distinguer cette danse noire américaine naissante de la danse occidentale : l’accentuation de l’« after-beat ». Eliane Seguin rapporte d’ailleurs que « l’importance du rythme musical comme force génératrice de la danse noire américaine est toujours évidente de nos jours. Lorsqu’il est constant et continu, le rythme syncopé est très entraînant, surtout lorsqu’il fait passer les accents de la mesure des temps normaux aux temps dits faibles (backbeats) dans la tradition occidentale de la musique, soit les deuxième et quatrième temps dans une mesure à quatre temps. Il accentue aussi les subdivisions des temps qui augmentent encore l’intérêt rythmique. ».

Il est intéressant de noter qu’un mélange identique entre tradition africaine et tradition américaine se produisit parallèlement dans la musique qui, en 1917, reçut la dénomination de musique « jazz ». Tout comme la danse, elle se caractérisait par l’accentuation de l’« after-beat », la large place faite à l’improvisation et, d’un point de vue harmonique, par l’apparition de « blue notes », notes « bémolées » issues de la gamme diatonique occidentale et de la gamme pentatonique africaine.

Le début des années vingt marqua le commencement de l’« ère du jazz » américaine dont le principal symbole fut « La Renaissance de Harlem ». La Première Guerre mondiale terminée, un mouvement de réhabilitation de la négritude dans la culture populaire prit forme au sein du quartier noir de New York : de jeunes créateurs et intellectuels noirs s’y retrouvèrent pour affirmer une culture africaine américaine et revendiquer sa modernité. Plus largement, ce mouvement s’accompagna d’un engouement croissant de la population toute entière, aussi bien blanche que noire, pour la musique et la danse jazz. Les artistes noirs eurent de plus en plus accès aux scènes de Broadway à travers les revues et autres spectacles musicaux. En 1921, le succès de la revue noire Shuffle Along, conçue, mise en scène et chorégraphiée par Flournoy Miller et Aubrey Lyles associés à Noble Sissle et Eubie Blake, auteurs compositeurs noirs, engendra la vague de succès que connut par la suite ce type de spectacle. Des revues noires telles que Runnin’ Wild, en 1923, et Dinah en 1924, lancèrent les danses de société à la mode, le « charleston » et le « black bottom » dans le grand public.

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Eliane Seguin décrit le charleston ainsi : « En rupture avec les conventions de la danse de bal occidentale, il se dansait pratiquement sur place sur une musique rapide et syncopée. Sa pulsation à 2/4, caractéristique de la musique Dixieland de la Nouvelle-orléans, encore appelée ‘Stop Time’, encourageait les mouvements sautillés. ». Ce « jazz hot » séduisait donc par sa rapidité, son inconvenance et l’exubérance dont les danseurs faisaient preuve. Mais si cette forme de jazz séduisait sur scène, elle séduisait aussi le public dans les cabarets.

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« La Renaissance de Harlem » rima aussi avec l’âge d’or de night-clubs situés dans ce quartier, tels que le Cotton club ou le Connie’s Inn. Ces clubs, dirigés par la pègre blanche, permettaient à des danseurs noirs d’y démontrer encore une fois leur virtuosité dans le « charleston », le «Suzie Q », le « truckin’ » ou encore le « Shorty George ».

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The Harlem Hot Shots

De la même façon, les musiciens, noirs eux aussi, pouvaient laisser libre cours à leurs improvisations, se laisser aller à la création, comme le fit Duke Ellington qui introduit son style « jungle » à partir de 1927. Le Dictionnaire du jazz définit ce style de la manière suivante : « il évoque une jungle imaginaire ou mythique, bariolée de cris d’animaux, plus proche de celles de Kipling ou du Douanier Rousseau que de toute réelle forêt vierge ; d’autant qu’Ellington a songé aussi à une autre jungle, celle des villes, des métropoles, de New York et de la Prohibition : l’espace et l’air du temps. »

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Duke Ellington

Le krach boursier de 1929 et la crise économique qui le suivit entraîna la fermeture des cabarets et des night-clubs et mit fin au soutien économique de la pègre blanche dans les quartiers noirs de New York. Cette année fatidique mit donc fin à La Renaissance de Harlem et à l’ère du jazz, pour laisser place à l’ère du « swing ».

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Le théoricien allemand Rudolf Laban s’est adonné, au début du XX ème siècle, à une étude du mouvement reposant sur six points principaux : le corps, l’espace, l’énergie, la forme, le phrasé ou le rythme, la relation aux autres. Dans cette étude, la notion de « swing » y est définie comme une dynamique du mouvement. En effet, dans la catégorie sur l’énergie, Laban a démontré qu’il existait quatre dynamiques du mouvement : l’impulse, lorsque l’accent se situe au début du mouvement ; le « swing » ou balancé, lorsqu’il se situe au milieu ; l’impact, lorsqu’il se situe à la fin ; et le mouvement continu lorsqu’il n’y a aucun accent. Mais cette théorie concerne le mouvement en général, qu’en était-il donc du « swing » en danse jazz plus précisément ?

Le compositeur, fondateur et directeur du Jazz Groupe de Paris en 1954, André Hodeir, mit justement l’accent sur la difficulté à définir le « swing », comme le rapporte Cécile Louvel, danseuse professionnelle, dans son ouvrage La danse et ses fondamentaux : comment définir qualitativement les spécificités de « l’énergie » jazz ? : « Il est presque impossible d’analyser un élément aussi peu palpable que le swing. Cette notion qu’on ne peut expliquer valablement, qu’on ne peut noter sur le papier, ce phénomène qui ne préexiste en aucune façon à une œuvre dont il arrive cependant qu’il soit la vertu majeure, semble se dérober à toute tentative de rationalisation. Nous savons que swinguer est un acte ; mais cet acte n’est pleinement saisi que par la sensibilité du sujet qui en perçoit l’effet. Tout ce que peut l’analyste, c’est définir les composantes de ce phénomène, ou même, plus modestement, les circonstances dans lesquelles il prend naissance. »

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Duke Ellington au piano

Le titre It don’t mean a thing (if it ain’t got that swing) de Duke Ellington, de 1932, lança l’expression dans le langage populaire.  La musique « swing », aussi appelée  « middle jazz », était caractérisée par la présence d’un grand orchestre, le « big band », dont le rôle était de soutenir un soliste. La politique du New Deal, mise en place par Roosevelt pour lutter notamment contre le chômage à la suite de la crise de 1929, favorisait la formation de ces grands groupes. On peut ainsi citer l’orchestre du pianiste Benny Moten dont Count Basie, pianiste lui aussi, prit la tête en 1935, ou celui de Duke Ellington, big band dès 1927. A ceux-ci s’ajoutent entre autres ceux du clarinettiste Benny Goodman et du tromboniste Glenn Miller.

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Glenn Miller

Notons que Benny Goodman fut le premier chef d’orchestre blanc à embaucher des musiciens noirs à une époque où régnait la ségrégation raciale. Surnommé « Le roi du swing » par le batteur et chef d’orchestre jazz américain Gene Krupa, à la suite de son concert au Carnegie Hall de New York en 1938, il conservera ce surnom jusqu’à la fin de sa carrière. L’orchestre de Glenn Miller, « The Glenn Miller Army Air Force Band », reste lui gravé dans les mémoires pour les concerts qu’il donnait pendant la Seconde Guerre Mondiale afin de remonter le moral des troupes. Les titres comme In the mood, ou « Moonlight Serenade » apparaissent encore très souvent dans les films dédiés à cette période. Quant aux solistes, le saxophoniste ténor Coleman Hawkins, par exemple, entra en 1922 dans l’orchestre du pianiste Fletcher Henderson ; tandis que Lester Young, autre grand saxophoniste ténor, rejoignait plus tard Count Basie.

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Lester Young

Le développement des sections de cuivres et la mise en valeur des saxophones caractérisaient aussi ces formations, au même titre que l’interprétation des morceaux dont découla la dénomination « swing ». Basés sur des petites phrases rythmées nommées « riffs », ils étaient  joués de façon « swing », c’est-à-dire de manière à faire « balancer » le rythme. La figure rythmique représentative était bien sûr la syncope : dans les tempos modérés joués en ternaire, étant émise 1/3 de temps avant le battement et se poursuivant après lui sur 2/3 de temps, elle était favorable au swing. Pour résumer, il s’agissait d’accentuer les temps faibles, de glisser sur les temps forts, et de substituer à toute formule rythmique binaire, une formule ternaire « balancée ».

Le middle jazz se propagera ensuite grâce au développement de la radiodiffusion en direct et à travers les « ballrooms » dans lesquels se produisaient les orchestres,  considéré alors comme une musique propice à la danse.

Les danses dites « swing » emblématiques étaient le « lindy hop » et les « rythm taps » évoquées précédemment. Créé en 1927, en hommage à Charles Lindberg qui venait de franchir l’Atlantique en avion, le lindy hop fut décrit par Mashall Stearns comme de « la musique chorégraphiée », « Dancing that swings, makes jazz rythm visible » (De la danse qui balance, qui rend le rythme jazz visible), ou par Norma Miller comme « un accord parfait entre le mouvement dansé et la musique ». Mise au point entre les murs du Savoy Ballroom, ouvert en 1926 Avenue Lenox à Harlem, le lindy hop était une danse de couple ; elle se dansait sur des rythmes rapides, impliquait un certain rebond induit par la musique swing, et alternait improvisation et parties pré-chorégraphiées, souvent inspirées du charleston. Néanmoins, on pouvait distinguer deux tendances, basées sur ces improvisations nommées « breakaway ».

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La première se caractérisait par un ancrage au sol, par « un mouvement constant, contrôlé, élégant, souple et flexible à partir des hanches » tel que le décrit Eliane Seguin dans Histoire de la danse jazz, tandis que la deuxième se basait principalement sur des figures plus acrobatiques, plus aériennes. A partir de 1936, cette seconde tendance l’emporta. Dans le « coin des chats » au sein du Savoy, les meilleurs danseurs, à l’instar de Shorty Georges Snowden ou George Twist Mouth, rivalisaient de virtuosité, enrichissaient sans cesse ce type de danse par leurs improvisations.

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Le lien entre la musique et la danse avait donc perduré depuis l’époque des esclaves, on retrouvait ce perpétuel jeu avec le musicien, cet éternel dialogue entre le danseur et son « accompagnateur » ; et le caractère musical de la danse jazz était là plus qu’apparent. Dans son ouvrage, Cécile Louvel décrit même l’analogie entre la musique et la danse swing : « La décontraction, le relâché, la détente – qui font aussi le swing musical – sont présents dans le swing corporel. ».

Se pose donc ici la question de la traduction corporelle de ce swing ; en quoi consiste-t-elle plus précisément ?

Selon le Dictionnaire de la Danse Larousse, cette traduction se perçoit principalement dans le rebond élastique des genoux et une sorte de balancement accentué sur la suspension. Cécile Louvel insiste aussi sur le transfert de poids d’un pied sur l’autre et sur une onde qui, démarrant d’un point central de la colonne, traverserait tout le corps, toutes les articulations. Dans Enseigner la danse jazz, Odile Cougole, Daniel Housset et Patricia Karagozian, danseurs, chorégraphes et professeurs de danse jazz, soulignent quant à eux le travail des pieds dans les danses sociales des années trente, mettant en avant le fait que les pieds rendaient les syncopes visibles « tandis que le haut du corps gardait l’équilibre, dans un calme contraste ».

Quelle évolution le « swing » a-t-il connu dans la danse jazz ? Il semblerait, que cet état de tension suivie d’un relâchement se soit transformé en état de tension constante, perdant ainsi toute son essence. Dès la fin des années quarante, le « be bop », caractérisé par des rythmes endiablés et de véritables envolées improvisées, remplaça les musiques dansantes ; et quelques années plus tard, de nouvelles formes de jazz, bien différentes du jazz dit « traditionnel » des années quarante se développèrent. D’après Cécile Louvel, l’accélération des tempi ainsi que l’apparition de nouveaux styles de musiques – autres que jazz bien qu’issus de ce dernier – utilisés dans les cours dits de danse jazz, ont effacé le swing comme accentuation essentielle. En effet, la musique « funk » par exemple, beaucoup plus carrée – puisque binaire – que le jazz traditionnel, encourage par conséquent beaucoup moins au rebond, même si la danse effectuée dessus n’en demeure pas moins énergique.

Dans tous les styles de danses, le danseur peut s’appuyer sur ces éléments stables que sont le tempo et la pulsation pour ne pas se perdre dans sa création. S’il ne sait plus sur quel élément de la musique improviser par exemple (tel ou tel instrument ? telle ou telle tessiture ?, etc…), il peut un instant se baser de nouveau uniquement sur la pulsation. En ce qui concerne l’improvisation en danse jazz plus particulièrement, la définition de Cécile Louvel démontre que le danseur peut aussi se servir de la pulsation pour enrichir son improvisation. S’il alterne l’improvisation sur la section rythmique qui marque la pulsation et l’improvisation sur la section mélodique, sa création n’en sera que plus nourrie.

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Extrait de partition

Puisque nous venons d’aborder deux notions relatives au temps, il est important de rappeler ici la différence entre les comptes et le « temps » (valeur musicale) : le temps est un intervalle tandis que les comptes ne sont que des repères marquant l’instant de passage d’un temps à l’autre, il ne faut donc pas les confondre. Les comptes ne sont introduits que par les danseurs et non par les musiciens.

Au sujet du temps musical, il faut aussi noter le fait qu’il peut être binaire ou ternaire, suivant la façon dont on le divise. Lorsque le temps est binaire, il se divise en deux croches ; tandis que lorsqu’il est ternaire, il se divise en trois croches. La division ternaire du temps est beaucoup plus favorable au « swing », qu’il soit rapide ou lent, que la division binaire.

Une autre notion musicale plus favorable au « swing » est celle de l’accentuation de l’« after-beat », caractéristique de la musique jazz et plus particulièrement issue de ses origines africaines. En effet, alors que dans la culture Européenne la tendance est plutôt à l’accentuation des temps forts, c’est-à-dire du premier et du quatrième temps d’une mesure à quatre temps, tendance issue de la musique classique, en musique jazz, l’accentuation des troisième et quatrième temps, temps faibles, donne à ce style de musique cette couleur si particulière, ce côté dansant qui incite au rebond.

Alors « clapez » sur les 2, les 4, les 6 et les 8, et laissez-vous porter par le swing ! A Paris, rendez-vous notamment au Caveau de la Huchette et au Balajo pour des soirées rétro !

A voir

 

 

Sources

Grand Larousse Universel ; 1991
Petit Robert, Dictionnaire de la langue française ; rédaction dirigée par A. Rey et J. Rey-Debove ; « Société Dictionnaires Le Robert » ; 1989

Dictionnaire de la Danse Larousse ; rédaction dirigée par Philippe Le Moal
Enseigner la danse jazz ; auteurs : Odile Cougole avec Daniel Housset et Patricia Karagozian ; « Cahiers de la pédagogie » , Centre National de la Danse ; 2008
Histoire de la danse jazz ; auteur : Eliane Seguin ; editions « Chiron » ; 2008
Dictionnaire Du Jazz ; auteurs : Philippe Carles, André Clergeat, Jean-Louis Comolli ;  editions  « Robert Laffont » ; 1998
La Danse Jazz et ses fondamentaux : comment définir qualitativement les spécificités de « l’énergie » jazz ? ; auteur : Cécile Louvel ; editions « L’Harmattan » ; 2007
Musique et Mouvement ;  auteur :Jacqueline Meunier-Fromenti ; editions Vigot ; 1996