La Danse Jazz fait partie des activités proposées par Temps Danse Asnières. Découvrez les origines de cette technique.

« Un jour sur un piano,
Une puce élut domicile
Elle posa son sac à dos
Ses affaires de ville
Elle avait beaucoup voyagé,
Beaucoup sauté, beaucoup piqué,
Et pour ne pas qu’on la voie,
Sur une noire, elle s’installa

Soudain la lumière apparut
Et des sons frappèrent son oreille
Une main lui marchait dessus
Sa colère fut sans pareille
Elle suivit ses évolutions
Avec des yeux pleins d’attention
Pour essayer de grimper
Sur la main qui l’avait piétinée

Lorsqu’enfin elle y parvint
Elle affina son aiguille
Et se mit à piquer la main
Comme on danse un quadrille
Mais soudain la main s’agita
et son rythme s’accéléra
Et la puce toute excitée
De plus belle se remit à piquer

Dans la douleur et la démangeaison,
La main se faisait plus rapide,
Ne suivait plus la partition
Et n’avait plus aucun guide
Mais dans la salle on applaudissait
Sans deviner que c’était,
Grâce à une puce énervée
Que le jazz était né ! »

La puce et le pianiste, Yves Duteil

 

Les racines…

Dès 1619,  les premiers esclaves Africains furent amenés aux Etats-Unis. Lors du voyage, les capitaines de navire les obligeaient à danser sur le pont, estimant que cela réduisait leur souffrance et leur permettait de se maintenir en bonne forme physique.

Une fois sur le continent, la musique et la danse gardaient une place primordiale au sein des populations africaines puisqu’elles accompagnaient chaque cérémonie, chaque rite et évènement social.

Les tam-tams furent interdits dans de nombreuses communautés lorsque les maîtres découvrirent qu’il pouvaient aussi servir de moyen secret de communication. Mais les esclaves utilisèrent alors le « pattin’ juba » ou percussions corporelles pour les remplacer. Les danses vernaculaires (les gigues, le « shuffle », le « breakdown », le « shake-down » et le « backstep ») et d’autres expressions religieuses étaient dansées au son du violon, du banjo, d’os, de calebasses et d’autres instruments faits à la main.

Les danseurs évoluaient au sein de cercles nommés « ring-shouts », où l’improvisation tenait une place dominante.

congo_squareCongo Square

Selon Marshall Stearns, fondateur de l’Institut d’Etudes Jazzistiques, personne n’a jamais su exactement comment chaque danse africaine s’était ensuite transformée et répandue dans le Nouveau Monde. Cependant, en se basant sur l’étude de danses clefs telles que le « buzzard lope » (le bond du vautour), l’« eagle rock » (le balancement de l’aigle), ou le « ring shout »,  il conclut qu’une fois aux Etats-Unis et notamment sous l’influence de la culture occidentale, les danses religieuses devinrent séculaires, les danses de groupes se transformèrent en soli, et les danses rurales devinrent urbaines.

Cependant, parmi beaucoup d’autres, une caractéristique rythmique permettait encore de distinguer cette danse noire américaine naissante de la danse occidentale : l’accentuation de l’« after-beat » (le contre-temps).

L’ère du Jazz…

Le début des années vingt marqua le commencement de l’« ère du jazz » américaine dont le principal symbole fut « La Renaissance de Harlem ». La Première Guerre mondiale terminée, de jeunes créateurs et intellectuels se retrouvèrent au sein du quartier noir de New York pour affirmer une culture africaine américaine et revendiquer sa modernité. Plus largement, ce mouvement s’accompagna d’un engouement croissant de la population toute entière, aussi bien blanche que noire, pour la musique et la danse jazz. Les artistes noirs eurent de plus en plus accès aux scènes de Broadway à travers les revues et autres spectacles musicaux. En 1921, le succès de la revue noire Shuffle Along, conçue, mise en scène et chorégraphiée par Flournoy Miller et Aubrey Lyles associés à Noble Sissle et Eubie Blake, auteurs compositeurs noirs, engendra la vague de succès que connut par la suite ce type de spectacle. Des revues noires telles que Runnin’ Wild, en 1923, et Dinah en 1924, lancèrent les danses de société à la mode, le « charleston » et le « black bottom » dans le grand public.

charlestonDanse Charleston des années 20

Eliane Seguin, historienne, danseuse et professeur de danse et histoire de la danse, décrit le charleston ainsi : « En rupture avec les conventions de la danse de bal occidentale, il se dansait pratiquement sur place sur une musique rapide et syncopée. Sa pulsation à 2/4, caractéristique de la musique Dixieland de la Nouvelle-Orléans, encore appelée ‘Stop Time’, encourageait les mouvements sautillés. ». Ce « jazz hot » séduisait donc par sa rapidité, son inconvenance et l’exubérance dont les danseurs faisaient preuve. Mais si cette forme de jazz séduisait sur scène, elle séduisait aussi le public dans les cabarets.

« La Renaissance de Harlem » rima aussi avec l’âge d’or de night-clubs situés dans ce quartier, tels que le Cotton club ou le Connie’s Inn. Ces clubs, dirigés par la pègre blanche, permettaient à des danseurs noirs d’y démontrer encore une fois leur virtuosité dans le « charleston », le «Suzie Q », le « truckin’ » ou encore le « Shorty George ».

savoy_de_londresLe Savoy Ballroom de Londres

Petit détour par les Claquettes…

Aux Etats-Unis, connues sous le nom de « Tap Dance » dérivé du son produit lorsque les plaquettes métalliques fixées aux chaussures du danseur touchent le sol, les claquettes se développèrent durant le XIX ème siècle. Issues d’un mélange de la « clog dance » (danse des sabots) irlandaise et des danses des esclaves africains, elles évoluèrent selon deux techniques distinctes durant les « Minstrel Shows » : la technique du « buck-and-wing » : le danseur tape vigoureusement avec des chaussures aux semelles de bois, et la technique du « soft-shoe », dansée de manière plus légère avec des chaussures aux semelles moins épaisses. Dès 1925, ces deux techniques se mélangèrent et des plaquettes métalliques furent fixées au niveau du talon et de la pointe du pied afin d’amplifier le son produit. De 1900 à 1955, les claquettes constituèrent les principaux numéros des Vaudevilles et spectacles musicaux de Broadway. A l’époque, la « Tap Dance » portait aussi la dénomination de « jazz dance » puisque les numéros étaient effectués sur de la musique jazz, au même titre que les danses comme le charleston. Elles avaient également leurs célébrités : à la fin des années vingt, Broadway découvrit Bill ‘Bojangles’ Robinson, surnommé « Le nuage de joie noire ». Célèbre pour son numéro de  la « danse de l’escalier », il se fit remarquer par sa dextérité et sa capacité à danser en utilisant surtout la pointe du pied. D’autres noms comme ceux du couple mythique de la RKO Radio Pictures, Fred Astaire et Ginger Rogers, entrèrent au panthéon des claquettes. Reconnus dans le monde du cinéma dès 1933 grâce au film Fly down to Rio, ils empruntaient des éléments aux danses de bal, qu’ils mêlaient aux claquettes.

ginger_rogers_et_fred_astaire Fred Astaire et Ginger Rogers dans le film Swing Time de George Stevens

Zoom sur le « Swing » …

Le krach boursier de 1929 et la crise économique qui le suivit entraîna la fermeture des cabarets et des night-clubs et mit fin au soutien économique de la pègre blanche dans les quartiers noirs de New York. Cette année fatidique mit donc fin à La Renaissance de Harlem et à l’ère du jazz, pour laisser place à l’ère du « swing ».

Le titre It don’t mean a thing (if it ain’t got that swing) de Duke Ellington, de 1932, lança l’expression dans le langage populaire.  La musique « swing », aussi appelée  « middle jazz », était caractérisée par la présence d’un grand orchestre, le « big band », dont le rôle était de soutenir un soliste. La politique du New Deal, mise en place par Roosevelt pour lutter notamment contre le chômage à la suite de la crise de 1929, favorisait la formation de ces grands groupes. On peut ainsi citer l’orchestre du pianiste Benny Moten dont Count Basie, pianiste lui aussi, prit la tête en 1935, ou celui de Duke Ellington, big band dès 1927. A ceux-ci s’ajoutent entre autres ceux du clarinettiste Benny Goodman et du tromboniste Glenn Miller. Notons que Benny Goodman fut le premier chef d’orchestre blanc à embaucher des musiciens noirs à une époque où régnait la ségrégation raciale. Surnommé « Le roi du swing » par le batteur et chef d’orchestre jazz américain Gene Krupa, à la suite de son concert au Carnegie Hall de New York en 1938, il conservera ce surnom jusqu’à la fin de sa carrière. L’orchestre de Glenn Miller, « The Glenn Miller Army Air Force Band », reste lui gravé dans les mémoires pour les concerts qu’il donnait pendant la Seconde Guerre Mondiale afin de remonter le moral des troupes. Les titres comme In the mood, ou  Moonlight Serenade  apparaissent encore très souvent dans les films dédiés à cette période.

 glenn_miller_et_son_orchestreGlenn Miller et son orchestre

Le développement des sections de cuivres et la mise en valeur des saxophones caractérisaient aussi ces formations, au même titre que l’interprétation des morceaux dont découla la dénomination « swing ». Basés sur des petites phrases rythmées nommées « riffs », il étaient  joués de façon « swing », c’est-à-dire de manière à faire « balancer » le rythme. La figure rythmique représentative était bien sûr la syncope : il s’agissait d’accentuer les temps faibles, de glisser sur les temps forts, et de substituer à tout formule rythmique binaire, une formule ternaire « balancée ».

Le middle jazz se propagera ensuite grâce au développement de la radiodiffusion en direct et à travers les « ballrooms » dans lesquels se produisaient les orchestres. Il était alors considéré comme une musique propice à la danse.

Les danses dites « swing » emblématiques étaient le « lindy hop » et les « rythm taps ». Créé en 1927, en hommage à Charles Lindberg qui venait de franchir l’Atlantique en avion, le lindy hop fut décrit par Mashall Stearns comme de « la musique chorégraphiée », « Dancing that swings, makes jazz rythm visible » (De la danse qui balance, qui rend le rythme jazz visible), ou par Norma Miller, danseuse de lindy hop, comme « un accord parfait entre le mouvement dansé et la musique ». Mis au point entre les murs du Savoy Ballroom, ouvert en 1926 Avenue Lenox à Harlem, le lindy hop était une danse de couple ; elle se dansait sur des rythmes rapides, impliquait un certain rebond induit par la musique swing, et alternait improvisation et parties pré-chorégraphiées, souvent inspirées du charleston. Néanmoins, on pouvait distinguer deux tendances, basées sur ces improvisations nommées « breakaway ». La première se caractérisait par un ancrage au sol, par « un mouvement constant, contrôlé, élégant, souple et flexible à partir des hanches » tel que le décrit Eliane Seguin dans Histoire de la danse jazz, tandis que la deuxième se basait principalement sur des figures plus acrobatiques, plus aériennes. A partir de 1936, cette seconde tendance l’emporta. Dans le « coin des chats » au sein du Savoy, les meilleurs danseurs, à l’instar de Shorty Georges Snowden ou George Twist Mouth, rivalisaient de virtuosité, enrichissaient sans cesse ce type de danse par leurs improvisations.

frankie_overbackDanseurs de Lindy Hop

A la musique Swing succéda le Be Bop, musique au rythme soutenu et marquée par l’improvisation. Cette évolution de la musique jazz marqua le déclin des ballrooms. Le rock’n’roll de la seconde moitié des années 50 attirera de nouveau les foules sur les pistes de danse.

A la fin des années 60, des influences chorégraphiques se mêleront ensuite pour donner jour à une forme nouvelle : le modern jazz.

La Danse Jazz aujourd’hui…

Le modern’ jazz pourrait se définir comme un mélange de plusieurs types de danse : classique, jazz, moderne, africaine, indienne, latino-américaine, danses des caraïbes, hip-hop. Matt Mattox, danseur, chorégraphe et pédagogue américain, fut l’un des premiers à l’importer en France.

matt_mattoxMatt Mattox

En ce qui concerne son accompagnement musical, rappelons que dans cette deuxième moitié des années soixante, le jazz fusion et le jazz rock firent leur apparition : les chorégraphes et les professeurs commencèrent à utiliser ce style de musique pour leurs créations.

 Aujourd’hui, la plupart des professeurs utilise des musiques actuelles et commerciales, permettant ainsi de s’adapter à un large public.

Conclusion

Difficile, après l’étude de différentes positions sur le sujet du lien existant aujourd’hui entre la musique jazz et la danse jazz, de se faire une idée. Le constat qui peut être fait cependant, est que la danse jazz « traditionnelle » perdure encore aujourd’hui dans certains cours ou dans certaines créations, tels que ceux de Patricia Karagozian, Rick Odums, Géraldine Armstrong, Martine Curtat-Cadet, Patricia Alzetta, et bien d’autres… Si la musique jazz n’est plus toujours utilisée, la musicalité, la mobilité de la colonne vertébrale, le rapport au sol, demeurent des caractéristiques de ce « nouveau » jazz en constante mutation que représente le modern jazz.

Notons aussi que les spectacles de la compagnie d’Alvin Ailey, grand chorégraphe Américain des années 70, continuent de faire salle comble à chaque passage à Paris.

AAADT_dans_revelationsL’Alvin Ailey American Dance Theater dans Revelation d’Alvin Ailey ©Paul Kolnik

La Danse Jazz n’a pas encore exprimé son dernier mot…

 

Sources
Sites internet : www.off jazz.com, unesdoc.unesco.org 
Livres : « Enseigner la danse jazz » de Odile Cougoule, Daniel Housset et Patricia Karagozian. ed. « Cahiers de la pédagogie » Centre National de Danse, 2008
et « Histoire de la Danse Jazz » d’Eliane Seguin. ed. « Chiron », 2008